Un débat sur la question dite des retraites est en cours pratiquement dans le monde entier (en particulier au sein de l’OCDE). Un rapport de la Banque mondiale (Averting the Old Age Crisis, Comment parer à la crise du vieillissement), publié en 1994 a également attiré notre attention sur ce problème.
Gunvall GRIP, Compagnie d’assurance FOLKSAM, Suède
Les raisons de notre intérêt sont multiples : de nombreux pays voient leur population vieillir et leurs taux de natalité tendent à baisser. En outre, nous entrons de plus en plus tard dans le marché de l’emploi en raison de l’allongement de la durée des études, mais aussi à cause de l’augmentation du chômage des jeunes), ce qui ne nous empêche pas d’aspirer à une retraite aussi précoce que possible (de nombreux pays ont abaissé considérablement l’âge de la retraite au cours des dernières décennies). La charge économique qui pèse sur la production se fait de plus en plus lourde, en particulier, souligne-t-on, lorsque les systèmes de retraite sont exempts d’accumulation (sous la forme de systèmes de retenue à la source, pay-as-you-go).
Il devrait être tout à fait évident que les systèmes de retraite sans accumulation sont sensibles aux déséquilibres démographiques. C’est pourquoi on propose souvent une conversion des systèmes sans accumulation en systèmes à accumulation. Cette conversion peut être complète ou partielle. Les systèmes à accumulation ont cependant, eux aussi, leurs inconvénients. L’un de ces inconvénients est que les systèmes à accumulation exigent des acheteurs pour le capital de retraite accumulé, à défaut d’acheteur, le rendement baisse. Et les systèmes à accumulation ont connu certains problèmes au cours de l’histoire. Pendant les années 30, les compagnies d’assurances suédoises ont, par exemple, connu une grave crise économique par suite de faibles taux d’intérêt entraînant une baisse de rendement. Des affirmations trop tranchées sur les avantages absolus des systèmes à accumulation doivent donc être accueillies avec un certain scepticisme.
Il peut s’avérer justifié de définir en quelques mots ce qu’est une retraite. Cette définition a certes quelque peu varié d’une époque à l’autre. Nous nous contenterons de souligner trois points.
On a, de temps à autre, compris la retraite comme un cadeau ou une aumône du patron ou de l’État. C’est une conception douteuse et pratiquement erronée. Il faut considérer une retraite comme un report de salaire, quelles que soient ce que nous appelons les cotisations de retraite (cotisations patronales, personnelles ou impôts) et quels que soient les régimes de retraite. Tel n’a pas été toujours le cas. Même d’un point de vue strictement juridique, cette attitude peut être, certes, compliquée, mais j’estime que cette attitude de base est la seule correcte et plausible.
Ce point fondamental concernant la retraite - considérée comme un report de salaire - étant établi, nous savons également à qui appartiennent les actifs des fonds de retraite accumulés (le capital retraite) : ils sont donc à ceux qui ont reporté leur salaire. C’est pourquoi les épargnants de retraite doivent se voir offrir une influence dans les organismes (compagnies d’assurance, gérants de capitaux) qui gèrent ce capital retraite. Cette influence peut se réaliser sous différentes formes, par exemple une représentation au conseil d’administration, la participation à des comités financiers et similaires.
La retraite est en outre un résultat de la production de la société. Cet aspect est très proche de celui de la retraite en tant que salaire reporté. Quelle que soit la structure du système de retraite (c’est-à-dire que les systèmes soient ou non à accumulation, ou qu’ils soient définis par les cotisations (contribution defined) ou les prestations (benefit defined), la retraite doit être considérée comme un résultat de la production. L’illustration la plus simple est d’imaginer une société sans production - dans une telle société, il n’y a pas non plus de retraite.
Lors de l’élaboration des systèmes de retraite, deux domaines sont d’une importance décisive :
Un système de retraite peut, comme nous l’avons évoqué, soit se baser ou non sur l’accumulation.(fully funded ou pay-as-you-go). Il devrait être clair que le régime de retraite sans accumulation n’est pas avantageux, en particulier lors de forts déséquilibres de population. Il devrait être tout aussi clair que le régime à accumulation n’est pas avantageux lors de déséquilibres du marché des capitaux.
Un système de retraite peut se baser sur les prestations (benefit defined) ou sur les cotisations (contribution defined). Dans un régime défini par les prestations, c’est donc l’avantage retraite (son niveau) qui est défini à l’avance alors que les cotisations peuvent ensuite varier avec le temps. Dans un régime à contributions définies, c’est donc le contraire, les contributions sont définies à l’avance alors que l’avantage retraite peut varier avec le temps.
La tendance du débat sur les retraites qui se déroule dans plusieurs pays penche vers les systèmes de retraite par accumulation et à cotisations définies. Cette orientation est, par exemple, très nette en Suède où une grande part du régime de retraite public général a été récemment établie comme un à cotisations définies et où, dans le même temps, une certaine partie du système a été constituée par accumulation.
Les dernières décennies ont vu une nette augmentation des actifs des fonds de retraite. Les actifs accumulés par les retraites correspondaient en 1990 à près de 5 000 milliards de dollars. Une majorité de ces actifs, plus de la moitié, était liée aux fonds de pension américains. Les actifs de retraite correspondants en Europe étaient de plus de 1.300 milliards de dollars et le reste était donc premier en Asie avec le Japon comme premier détenteur de ces actifs. Au cours des dix dernières années, ces actifs ont fortement augmenté.
C’est donc, et il faut le remarquer, un nombre relativement réduit de pays du monde qui détient la plupart des actifs des systèmes de pension. Ce fait se maintiendra aussi au moins dans la prochaine décennie.
Un aspect important de l’évolution des fonds de retraite est que les gérants de fonds ont joué de plus en plus activement leur rôle de propriétaire au cours des dix dernières années. Ainsi, c’est eux qui expriment les stratégies de participation et de placement : les dirigeants des fonds de retraite prennent contact avec les entreprises qui ne répondent pas aux exigences de rendement des gérants de capitaux de retraite, etc. Mentionnons ici que certains des plus grands gestionnaires de capitaux retraite du monde - TIAA-CREF et CALPERS -, aux ? États-Unis, écrivent beaucoup au sujet de l’orientation des placements, etc.
Dans la discussion concernant nos retraites futures figure souvent la question de savoir comment le capital retraite peut ou doit être géré ou placé et, en conséquence, quels intérêts doivent être sauvegardés.
Pour répondre à ces questions, soulignons cinq exigences importantes qui peuvent et doivent raisonnablement s’appliquer à ces placements et à la gestion des actifs de retraite.
L’exigence financière
L’objectif le plus important de l’épargne retraite est le versement de la future retraite. Par suite, l’épargne retraite doit être placée de manière aussi sûre et que possible (et donc avec une prise limitée de risques financiers) tout en exigeant un rendement satisfaisant.
En plus d’un rendement satisfaisant et d’une prise de risque financier limitée, l’exigence financière comporte également la question des coûts de gestion du gérant de capital. L’épargne retraite ne doit donc pas être grevée de coûts d’exploitation élevés sous la forme de frais versés aux gérants ou de gains immodérés aux actionnaires.
L’exigence d’influence
L’exigence d’influence est surtout une question de démocratie économique. Cela implique que les épargnants retraite (habituellement leurs représentants) doivent se voir attribuer une influence sur l’orientation des placements et sur la gestion des retraites. Cela peut se résoudre par une place au conseil d’administration du gérant de capital ou dans différentes sortes de comités financiers ou de placement.
L’exigence écologique
Les systèmes de retraite sont toujours élaborés pour le long terme. C’est dans leur nature. C’est pourquoi la gestion du capital retraite doit également être considérée comme un instrument pour la constitution d’une société viable à long terme. Dans cette question, les aspects écologiques sont d’une grande importance. Lors du placement du capital retraite, il faut donc tenir compte de l’influence du placement sur l’environnement futur. Les méthodes pour cela peuvent naturellement varier.
L’exigence sociale
Nous entendons par exigence sociale que le placement de capital doit s’orienter sur les entreprises et les activités qui prennent une responsabilité sociale dans la société. Les formes et le contenu de ce que l’on doit entendre par responsabilité sociale peuvent naturellement varier, elles aussi. Un point de départ naturel peut être certaines conventions internationales comme les conventions du Bureau international du travail, qui comportent des accords sur les conditions de travail, sur les activités syndicales etc. Le capital retraite ne doit donc pas être placé dans des entreprises qui mènent des activités qui enfreignent ces conventions.
L’exigence de stimulation de l’emploi
Nous l’avons dit, la retraite doit pouvoir être considérée comme un résultat de la production. Il s’ensuit que le capital retraite doit pouvoir être placé en vue de favoriser l’emploi dans la société, tout au moins à terme. C’est l’exigence la plus pressante mais aussi la plus difficile à préciser et à mettre en pratique. Il est donc impossible de placer le capital retraite uniquement dans un dessein politique économique puisque la prise de risque financière ne doit pas être trop importante. Cela ne doit cependant pas empêcher que l’aspect de promotion de l’emploi soit totalement laissé de côté.
Remarque : les quatre dernières exigences - influence, environnement, et emploi - doivent être considérées comme des conditions nécessaires pour que la première exigence, l’exigence financière, puisse être satisfaite à long terme. Ces quatre dernières exigences sont donc un moyen d’atteindre, à terme, un rendement satisfaisant.
Le mouvement syndical suédois a une longue histoire en ce qui concerne les assurances et les retraites. En voici quelques exemples.
En 1908 et 1914, la compagnie d’assurances Folksam fonde ses activités d’assurances dommages et vie. Les fondateurs de Folksam, qui est une mutuelle, étaient différents syndicats, le mouvement de coopération et une fraction du parti social-démocrate. Folksam a donc pour origine le mouvement ouvrier suédois. Encore aujourd’hui, des représentants syndicaux font partie du conseil d’administration de Folksam et influencent ainsi nettement les activités de la compagnie.
En 1917, les patrons et les employés ont créé une caisse de retraite, la SPP, qui est devenue par la suite la plus grande caisse de retraite des employés du secteur privé. Le plan de retraite sur lequel reposent ses activités est toujours totalement capitalisé. La caisse de retraite des employés SPP gère aujourd’hui des actifs importants et aussi bien les employeurs que les syndicats d’employés sont représentés au conseil d’administration.
C’est de manière correspondante qu’a été fondée en 1942 une caisse de retraite spéciale pour les employés de la coopération, KP Pension och Frsökring. Cette caisse offre elle aussi des retraites aux employés sur des principes essentiellement identiques à celles de la SPP.
En 1960 a été instauré un nouveau régime de retraite pour tous les Suédois actifs, un régime de retraite basé sur le revenu, avec adhésion obligatoire. Ce régime (qui appartient en fait au premier pilier) comporte un fond spécifique de répartition des futures dépenses de retraite. Des représentants du mouvement syndical siègent également dans son conseil d’administration.
Au cours des années 1970, la confédération générale du travail de Suède - LO) et les patrons ont fondé deux compagnies d’assurance, d’une part une caisse de retraite (AMF-Pension), d’autre part une caisse maladie (AMF-Sjuk) avec pour mission de gérer les nouvelles solutions de retraites de d’assurance maladies convenues entre les employeurs (confédération des employeurs suédois, SAF) et le syndicat ouvrier (LO). Ces compagnies basent en principe leurs activités sur la technique de capitalisation et gèrent aujourd’hui des actifs considérables. Leurs conseils ont une représentation paritaire d’employeurs et de syndicaux.
Pour récapituler, on peut dire que le mouvement syndical suédois - aussi bien les employés que les ouvriers - a, depuis des décennies, des liens étroits et une influence directe sur différentes caisses de retraite et d’assurances. Le mouvement syndical suédois est donc représenté dans des compagnies qui agissent aux trois niveaux des régimes d’assurance et de protection : dans le régime général de retraite (premier pilier), dans les compagnies liées aux régimes de retraite et d’assurance convenues entre les partenaires sociaux (second pilier) et même dans les compagnies d’assurances qui gèrent des solutions d’assurance purement privées (troisième pilier).
En Suède, les employeurs et les employés (la SAF et la LO) sont récemment convenus d’un nouveau système de retraites totalement basé sur l’accumulation et structuré comme un régime à cotisations définies. Un élément de cette convention de retraite (second pilier), qui concerne environ un million de salariés, est que le mouvement syndical (LO) et la compagnie d’assurances Folksam ont constitué une caisse de retraite particulière. Le conseil d’administration de cette société compte des représentants des syndicats suédois : des délégués syndicaux font également partie du comité financier de la société et ils ont donc une influence sur l’orientation des placements du capital de retraite. On remarque donc ici que l’exigence d’influence a été satisfaite.
Un élément important des activités est que les coûts administratifs des activités soient maintenus aussi faibles que possible. Tout futur surplus doit en outre revenir aux épargnants.
Les coûts de gestion seront d’environ 0,4 % du capital retraite. Un élément important de l’exigence financière est ainsi satisfait.
Folksam travaille aussi dans le domaine écologique, ce qui implique notamment que nous avons connu, avec un journal financier suédois, un index écologique attribué aux entreprises suédoises cotées à la bourse de Stockholm. L’index est fonction des émissions de gaz carbonique des entreprises cotées en bourse. Nous sommes donc dans la ligne des exigences écologiques applicables au capital retraite.
Dans ce contexte, nous pouvons mentionner que les syndicats suédois (LO) se sont récemment (en novembre 1999) réunis à Stockholm avec des représentants de plusieurs organisations syndicales du monde. Cette réunion a évoqué justement le capital retraite et dans quelle mesure on peut constituer un réseau international d’information pour les questions qui concernent les placements du capital retraite.
Voir le plan du colloque.