Qu’est-ce que l’écologie politique ?
La Grande Transformation du XXIe siècle

1999 par Alain Lipietz

[1999a-ja] Livre - Qu’est-ce que l’écologie politique ? La Grande Transformation du XXIe siècle, avec nouvelle préface, La Découverte, Paris, 123 pages.

Nouvelle préface

C’est un très grand plaisir pour moi de préfacer la traduction en japonais de mon livre : "Qu’est ce que l’écologie politique". Je remercie tout particulièrement l’éditeur Ryokufu pour cette initiative, et ma traductrice Fumiko WAKAMORI pour son travail difficile.

Les lectrices et les lecteurs japonais se reconnaîtront dans le type d’écologie humaine dont il est question dans ce livre. Le Japon, comme l’Europe, est profondément urbanisé ou cultivé, et ce qu’il reste de nature "sauvage" a un statut de parcs ou de réserves naturelles, vénérée par la littérature et la population urbaine japonaise. La religiosité japonaise elle-même, si étonnante pour un visiteur occidental, est essentiellement tournée vers la nature végétale ou minérale, alors qu’un Européen place le divin (comme lui même !) en dehors de la Nature. Et pourtant cette Nature japonaise est presque complètement humanisée : comme un jardin. Les jardins du Japon font d’ailleurs l’admiration universelle. Ils sont le symbole d’une civilisation où toute nature est humanisée, mais cette humanisation essaye de respecter la Nature, non seulement pour sa productivité alimentaire (le riz), mais pour sa valeur esthétique : les fleurs des cerisiers, les feuilles rouges de l’automne…

Dans ce livre, j’aborde le rapport de l’humanité à la planète comme d’un jardiner à son jardin. Presque tout est humanisé, et ce qui reste sauvage doit être préservé, mais même dans ce cas il s’agit d’une décision humaine, sociale. Cet état de fait est le résultat d’une lutte millénaire contre une nature qui n’est pas très généreuse (surtout pour le Japon, sauf en eau, qui est le principe de toute vie). Pire, c’est une nature parfois cruelle : le Japon est aussi le pays des tremblements de terre et des raz de marée.

Tout l’effort de la civilisation japonaise a d’abord consisté à dompter cette Nature, à la rendre habitable aux humains. Puis, comme la terre japonaise est très petite, des difficultés sont venues de plus en plus de la coexistence d’une population et d’activités très nombreuses sur une surface très étroite. Augmenter la "capacité de charge" de la terre japonaise : telle est le défi fondamental de la civilisation japonaise. C’est si difficile que la nation japonaise eut parfois la tentation d’envahir ses voisines ! Le Japon est aussi exemplaire des malheurs de la guerre : les crimes que l’on commet au dehors, la tragédie des bombardements que l’on subit. L’incendie de Tokyo, Hiroshima et Nagasaki sont les plus terribles symboles de la face la plus sombre de l’écologie humaine.

Depuis, le Japon s’est astreint à résoudre ses problèmes sur son propre sol. Il y est parvenu par un formidable effort technique et une formidable discipline collective : ses prouesses technologiques, en particulier dans le domaine de la miniaturisation, font l’admiration du monde et expriment bien la spécificité de son écologie. Moins connue et toute aussi importante est l’extrême organisation de son agriculture et de son industrie. Mais là encore, le Japon a été pionnier dans la découverte des périls écologiques cachés dans le progrès technique, si bien organisé soit-il : empoisonnement de la mer par le mercure, paralysie du pays par un accident localisé, etc… Et là encore le Japon a su réagir. Quand j’étais jeune, l’image du Japon, c’était des foules portant des masques sur la figure pour se protéger de la pollution. Aujourd’hui, l’air japonais est beaucoup moins pollué, grâce à l’action des mouvements de défense de l’Environnement. Il reste beaucoup à faire, mais on peut lutter, on peut progresser !

Pour toutes ces raisons, le Japon apparaît comme un remarquable "modèle réduit" des problèmes écologiques, qui se posent et se poseront de plus en plus à l’Humanité et à sa petite Planète. Pourtant, contrairement à l’Europe, le Japon n’a pas fait de l’écologie elle-même le contenu d’un parti politique. C’est peut être une des faiblesses de la vie politique japonaise : il n’y a pas de Parti Vert, un parti donnant plus d’importance aux enjeux fondamentaux de la vie collective, sur notre petite Terre, qu’aux rivalités des personnes pour l’accès au pouvoir. Puisse ce livre y contribuer !



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