29 aout 2018
Départ de Hulot : les leçons d’une crise
Publié dans Libération

29 août 2018 par Alain Lipietz

C’était inévitable : Nicolas Hulot a quitté le gouvernement.. Peu de ministres ont ce courage. La plupart des écologistes n’avait aucune illusion sur la possibilité de « faire quelque chose avec Macron » et lui avaient déconseillé ce poste. Comme une majorité de Français, j’ai « voté Macron pour battre Le Pen », sans aucune illusion sur son programme. D’autres lui avaient dit « Essaie toujours, on verra bien ». C’est vu, il s’en va. Et avec des mots justes : « Je ne pouvais pas continuer à me mentir. »

Le détonateur, apparemment dérisoire, est la présence d’un lobbyiste de la chasse à une réunion interministérielle. Sujet non négligeable : il avait monopolisé le temps du cabinet Voynet... Mais l’incident est surtout significatif du poids des lobbys dans la gouvernance d’E. Macron, « président des riches », mais aussi des pollueurs, des chasseurs irresponsables, des refouleurs de réfugiés, etc. Une Présidence en dessous des intérêts privés, inapte à défendre l’intérêt général, a fortiori de la Planète.

Ce n’est pas nouveau : depuis D. Voynet, les ministres écologistes savent que ce qu’ils obtiendront sera considéré comme un « cadeau » et non comme la prise en compte, par leurs collègues, de ce qui devrait tous les concerner au premier chef. N. Hulot en cite un seul : le ministre de l’agriculture, l’ex-socialiste S. Travert. On aurait pu imaginer les ministres liés au climat (transport, énergie, logement...) et bien sûr Bercy. La non-application de l’accord de Paris par le gouvernement E. Philippe rongeait N. Hulot. Ses seules victoires sont programmées pour... 2040, à l’exception de l’arrêt de l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Mais ne la surestimons pas : invité à déjeuner en 2016 par le cabinet de l’alors ministre de l’Économie E. Macron, je m’entendis demander les conditions de mon entrée au gouvernement. Je bottais en touche : « Arrêter d’abord ND des Landes », on m’applaudit : « Mais ça nous sommes d’accord ! Ça fera des économies. »

Après tout, le printemps et l’été n’ont été marqués que par deux grands évènements écologiques : les palinodies européennes et françaises sur le glyphosate (malgré les Monsanto-papers, qu’allaient sanctionner la justice américaine) et la canicule générale. La crise climat-énergie (n’oublions ni sa composante nucléaire, ni sa composante « palmier à huile » !), tout le monde dorénavant, sauf dans le tandem Macron-Philippe, en parle au présent : plus question de « générations futures ». Mais il est bon que la crise Hulot soit cristallisée sur « l’autre crise écologique mondiale », la crise alimentation-santé (faim au sud, malbouffe au nord), trop oubliée, même par EELV. Il n’y a pas que le glyphosate : en fait c’est tout le modèle agro-alimentaire mondial qui est concerné (des perturbateurs endocriniens au poids excessif de l’élevage).

Cette crise alimentation-santé s’articule pourtant à l’actuelle crise « Énergie climat » et à la suivante : la crise de la biodiversité. De la pelleté d’engrais à la mise en décharge des déchets, l’alimentation produit 40 % des gaz à effet de serre mondiaux. En retour, le réchauffement climatique diminue le potentiel nutritif de la Planète : baisse de de la quantité de sol arables, de la valeur nutritive des aliments, accidents climatiques...

N. Hulot le savait. Mais les lobbies agro-alimentaires sont bien plus puissants que les industries d’armement, automobile et pétrolière réunies ! Il fut même écarté des États-généraux de l’Alimentation...

Reste à mesurer l’effet de sa démission. Il sera sûrement négatif, dans un premier temps : « Bon débarras ! ». Le sociologue Alfred O. Hirshman avait jadis bien résumé le dilemme : Voice, Exit or Loyalty, rester pour donner de la voix, s’en aller, ou rester par fidélité. N. Hulot a choisi Exit, la Voice de l’écologie s’est éteinte pour le tandem Macron-Philippe, et demain ils ferons pire. Les écologistes de ma ville (Villejuif) en ont fait la triste expérience : ayant signalé à la Procureure de la République un grave délit immobilier dans la majorité municipale à laquelle ils participaient, ils sont partis, et maintenant c’est pire...

« Fais ce que doit, advienne que pourra » répondait Kant au dilemme de Hirschman. Nicolas Hulot a fait le bon choix, reste à faire « advenir » ce qu’il en espère : demain, à l’Europe comme en France, une majorité politique enfin résolue à sauver la Planète... et ses habitants.

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