Emmanuelle Riva
« La Femme », ça existe

29 janvier 2017 par Alain Lipietz

Je n’ai rencontré qu’une fois Emmanuelle Riva. Transi.

C’était le 11 septembre 1974 et nous n’avions pu décrocher « que » la grande salle du Palais des congrès, porte Maillot, pour le meeting du premier anniversaire du coup d’État contre Allende et de soutien à la résistance. Elle devait présider.

Sur l’immense scène, derrière le rideau encore baissé, elle attendait, seule, debout, souriante, doucement interrogative. Terrorisés, les organisateurs maoïstes et trotskistes se pressaient en coulisse. « Mais il faudrait lui expliquer ce qu’elle a à faire ! Qui c’est qui y va ? » Injustement, les chefs me jetèrent sur le plateau. Je m’approchai, traversant genoux tremblants la moitié de la scène vers le Monstre sacré.

Elle m’accueillit avec ce sourire à la fois charmant et légèrement ironique qui a conquis et paralysé de respect toute ma génération, depuis [?Hiroshima mon amour]. Incarnation même de La Femme, la femme libre, la femme d’intelligence, de noblesse et de désir, la Pandora imaginée par Hésiode : "Aphrodite d’or mit sur son front la grâce, le douloureux désir, et le souci qui brise les membres…" Un pouvoir fragile qu’elle ne pouvait ignorer, et qui expliquait sans doute son imperceptible ironie : « Une femme à la moralité douteuse, c’est une femme qui doute de la moralité des autres... »

Elle a traversé notre siècle en incarnant les images les plus fortes et les plus dérangeantes de La Femme, de la Thérèse Desqueyroux de Franju à la Médée d’Euripide à Avignon. Elle a conclu sa carrière par un film que je garde en réserve, que je n’ose pas encore visionner tant que la cicatrice des six ans d’agonie de Francine ne sera pas adoucie : [?Amour] de Haneke.

Emmanuelle Riva, immortelle et bouleversante icône de la discrète supériorité de La Femme, qui pourtant se prête avec bienveillance, à nous autres petits garçons, et que le cinéma garde pour nous à tous les âges de la vie humaine.



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