Sans ma soeur
Extrait de Miroir en éclats, de François Lescun

22 février 2015 par François Lescun

SANS MA SŒUR

Elle était le cœur de notre marguerite familiale. Sans elle, sans son accueil et le magnétisme de son sourire, tous ces pétales si divers auraient-ils pu rester ensemble ? Ses yeux diffusaient lumière et chaleur. Sa voix douce et chatoyante pouvait aussi frémir de colère et d’indignation devant les injustices sociales et les avaries du monde. Son intelligence affûtée au feu du débat public imposait sa révolte et ses convictions avec fermeté mais sans jamais se fermer aux autres. Nul ne savait écouter comme elle.

Au jour le jour, modestement, presque à l’insu de tous, elle avait écrit des poèmes aériens mais denses, des nouvelles chargées de toutes les boues du quotidien mais qui fuyaient vers des lointains énigmatiques. Elle me les lisait, et je les lui enviais.

Dévorée par un cancer à récidives, je la revois, elle qui était longtemps restée si fraîche et pulpeuse, le crâne rasé, le visage et les épaules décharnés comme les rescapés des camps de la mort, mais elle avait encore la force de sourire. Lors de ma dernière visite, penché sur elle, j’ai recueilli ces derniers mots, un souffle venu de si loin, à peine audible : Sois fort.

Au moment précis où le corbillard entrait dans le cimetière, le soleil déclinant a déchiré la brume de cette froide soirée d’automne et tous les arbres se sont couverts de médailles d’or. Comme si le ciel l’avait accueillie d’un sourire. Mais bientôt l’éclaircie s’est comblée, le caveau l’a engloutie.

Villejuif, 7 novembre 2008
Paris, 7 novembre 2009

Extrait de François Lescun (Jeau-Noël Segrestaa), Miroir en éclats, éditions Caractères, Paris, 2014



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