Cinq ans d’une crise mondiale qui promet de durer : c’est sans doute l’une de plus grande crise de l’histoire humaine, à la fois économique et sociale, mais plus fondamentalement énergétique, climatique, alimentaire, sanitaire. Dix-huit mois d’une participation d’EELV au gouvernement sur la base d’un contrat législatif où nous avions pu glisser des éléments importants de notre contribution à la sortie de crise. Un gouvernement qui tourne le dos à ces engagements. Une incapacité totale des écologistes à contrecarrer cette dérive. Une direction sortante « réelle » qui sanctionne le secrétaire national Pascal Durand, lequel, fort d’un mandat du Conseil fédéral, avait commis le crime de mettre le gouvernement au défi de « changer de cap ». Alors… que faire ?
Contrairement aux caricatures, la question ne se pose en termes abruptes « être ou ne pas être au gouvernement ». Nous y sommes, et cela devait être pour nous un levier pour amorcer la transition écologique et recoudre une société déchirée par 30 ans de libéralisme et de dérives sécuritaires. On ne quitte pas de bon gré un point d’appui qu’il fut si difficile d’investir.
Problème : ce point d’appui fonctionne depuis dix-huit mois dans le sens inverse. Nous ne reviendrons pas sur le bilan détaillé ailleurs (voir notre tableau des promesses non tenues, mais il serait plus terrible encore d’invoquer les décisions imprévues, comme la règle d’or, l’austérité, le CICE, l’allongement de la durée de cotisations retraites, etc).
Au printemps dernier, le Conseil fédéral unanime croyait lancer le signal d’un tournant : il faut changer de cap. La direction du mouvement, nos groupes parlementaires et ministres n’en ont tenu aucun compte, soutenant comme auparavant un gouvernement qui s’enfonçait dans une politique d’austérité de plus en plus critiquée jusque dans les instances internationales, sans compter le déshonneur de l’affaire Leonarda.
La vraie question, au cœur de notre congrès, est donc « Comment faire pour imposer un changement de cap, maintenant ? ». Et comme on ne peut miser sur la mobilisation populaire (elle se dessine, mais de manière si désespérée par la trahison des espoirs de 2012 que ce sont les force réactionnaires qui en profitent pour le moment), il nous faut utiliser les leviers dont nous disposons réellement.
Un premier levier est le vote contre le budget, lequel matérialise actuellement le « mauvais cap » que nous voulons redresser. C’est institutionnellement un acte grave, même si le gouvernement peut se passer de nos voix… à moins qu’une partie du PS ne nous suive, ce qui reste possible (et c’est même le but, à terme). Cet acte nous réinscrira dans le camp du changement, alors que nous sommes de plus en plus entrainés par le PS dans la continuité du sarkozysme, et donc dans l’approfondissement de la crise sociale et vers une terrible sanction aux municipales et aux européennes.
Surtout, il ouvrira une confrontation politique majeure, mais contrôlable car circonscrite à la majorité de 2012. Le PS devra alors choisir entre deux mauvaises solutions pour lui : nous exclure du gouvernement, ce qui le laisserait dans une situation de total isolement, ou nous garder, ouvrant alors un feu vert à la révolte de ses propres parlementaires socialistes. Face à ce dilemme, il nous reviendra de lui proposer une issue : « Nous restons, ou nous reviendrons, mais à condition d’en revenir aux orientations de 2012, dont voici la forme qu’elles prendraient aujourd’hui. » Et nous présenterons un programme de sortie de crise, premier véritable contrat de gouvernement.
Bien sûr il nous faudra pour cela négocier des points d’appui parmi les forces politiques appartenant à la majorité de 2012 mais pour le moment exclues du gouvernement. Surtout il nous faudra chercher des appuis dans les forces du mouvement social, syndicales et associatives.
Pressentant peut-être cette offensive, JM Ayrault vient d’allumer un contre-feu pour maquiller l’éternel report de la fiscalité écologique : « Demain (en 2015 ou à la Trinité) on rasera de frais la fiscalité, on remettra tout sur la table. » Et bien entendu une partie de nos dirigeants a fait mine de donner dans ce miroir pour alouettes pas très douées.
La remobilisation du pays face à la crise se joue donc actuellement dans le mouchoir de poche du Congrès EELV, à Caen. Ou bien une direction profondément renouvelée, prenant véritablement la mesure de la crise et de ses urgences, s’emparera des moyens dont nous disposons pour imposer au gouvernement un changement de cap. Ou bien la descente aux enfers continuera. Et pas seulement pour EELV.
Alain Lipietz
Pour La Motion Participative.