Le débat sur la " parité " fait rage. Mais il est mal posé. Changer l’article 3 de la constitution, en y incluant que des lois doivent assurer entre les deux sexes un égal accès aux institutions de la république, ce n’est pas remettre en cause l’universalisme, c’est y démasquer un faux-semblant.
Ce n’est pas non plus y inscrire la différence de " nature " des sexes, c’est reconnaître que des millénaires se sont emparés de cette " petite différence " pour rendre les femmes indésirables dans la sphère publique. C’est enfin admettre qu’une réalité sociale, parée d’un discours pseudo-philosophique, forme une sorte de " plafond de verre " excluant de fait les femmes. De toutes les femmes, car les exceptions, les " faveurs " ne changent pas la situation de l’ensemble.
Changer l’article 3, y faire apparaître que les sexes sont à considérer à égalité, non seulement dans une proclamation fictive, ce qui est le cas aujourd’hui, mais dans les dispositifs électoraux, ce n’est pas mettre à mal l’universalisme. L’universalisme dont se targue notre démocratie est une toge trouée. Toge trouée, car si la pose est bonne, on voit bien aujourd’hui ce qu’il y a dessous : cet universel est masculin ! Faire apparaître que l’universel est le " cache-sexe " d’une humanité masculine, entraîne certes d’autres découvertes : cet homme " représentatif ", cet homme qui peut parler au nom de tous, est blanc, intellectuel, de préférence mûr, et bien nanti. Eh oui, de tout ceci notre démocratie devra mieux tenir compte. De même que le paterfamilias ne peut plus voter à la place de sa femme, il ne pourra plus prétendre représenter tout à fait l’ensemble de la nation. L’universalisme n’est pas une abstraction, mais une représentation plurielle. Les " idées " ne sont pas planantes, elles sont incarnées dans des réalités sociales, les voix sont multiples. Avec les femmes, c’est la réalité de l’exclusion qui fait son apparition en politique, qui bouleverse une démocratie " bourgeoise ".
Et puis, c’est un mensonge de faire croire que n’importe qui représente la nation dans son entièreté : l’universalisme français fait déjà de savants dosages. Les modes de scrutin visent à éviter de trop grands déséquilibres de la représentation nationale : le scrutin d’arrondissement vise l’égalité de représentation géographique, le scrutin de liste vise la juste représentation des sensibilités politiques. Nous ne demandons pas autre chose pour l’égalité entre les femmes et les hommes. On a trop longtemps dénié aux femmes la capacité à représenter la nation. Rétablir l’équilibre, à partir d’une représentation complètement distordue de la réalité, est urgent.
Il est tout aussi faux d’affirmer, comme les philosophes de la " différence ", que les femmes vont par nature changer notre société. Il est faux de poser le problème en termes de différence " naturelle " des sexes. Faux, dangereux, et réactionnaire. Car cette " petite différence ", il est bien exact qu’elle a servi à formuler la relégation des femmes dans le privé. Et ce n’est pas fini : toute l’éducation en demeure marquée. L’égale représentation des femmes n’est pas demandée au nom de la différence, de la nature, mais d’une profonde occultation. Le problème est à poser en termes de rapports sociaux de sexe. Ou plutôt de " genre ". Car cela, c’est la longue réalité. Ce n’est pas parce qu’elles sont différentes sexuellement, parce qu’elles font des enfants, que les femmes ne doivent plus laisser les hommes parler pour elles. Ce n’est pas de nature qu’il est question, mais de place dans la société, et partant d’une autre culture. Elles ont à franchir, ensemble, en masse pour que ce soit de façon significative, la paroi de verre qui fait obstacle à leur avènement dans le domaine public. Ce faisant, elles apporteront, dans une vie politique tronquée, limitée à ce que les hommes disent être les " grands problèmes de la société ", tout un pan laissé dans l’ombre ou mal abordé : l’articulation entre le privé et le " public ", l’individu et la société. Habituées qu’elles sont à faire le va et vient entre ces deux versants, elles posent mieux les problèmes de santé, de prévention (à commencer par les questions de contraception et d’avortement), le souci des générations futures, elles ont une approche plus concrète de l’urbanisme, etc.
Malheureusement en France, cet avènement, c’est une naissance au forceps. Changer l’article 3, eh oui, on aurait pu s’en passer ? dans une autre société ! La France a une culture politique bien différente des pays scandinaves où la bonne volonté, l’apparition plus tardive de la démocratie et d’autres facteurs ont permis la montée rapide des femmes dans la vie politique. Les rapports sociaux de sexes y sont différents. Il semble d’ailleurs que la situation sociale tendant à se dégrader en Suède, la position des femmes y étant aujourd’hui attaquée comme partout en Europe, la parité commencerait à s’en ressentir : le lien est bien évident !
Il semble à ce sujet que certaines universitaires planent à mille lieues de la réalité sociale. Prétendre que les femmes ont accédé à l’égalité est un comble. Qu’elles soient majoritaires dans certaines professions est un fait, mais généralement un fait déplorable : ce sont ou les professions déqualifiées et surexploitées (services, commerce, etc.) ou l’éducation, ce qui est aussi dommageable et pour la formation mixte des enfants, et pour la profession en question qui en est dévaluée d’autant, hélas. Non, l’égalité n’est pas acquise, elle est même fortement attaquée dans le domaine de l’emploi tout spécialement, mais aussi dans bien d’autres domaines.
Quant à laisser à la bonne volonté des partis le soin de rétablir " l’égal accès " en ne votant que l’article 4 de la constitution, c’est le comble de l’hypocrisie. On sait ce que cela donne. Même dans un parti comme les Verts, qui ont inclus la parité dans leurs statuts, c’est un combat de tout instant, lors de la confection des listes électorales, pour que la parité ne disparaisse pas dans le savant dosage des sensibilités, des représentations régionales, etc. D’autres partis essaient de suivre cet exemple, dans la période, sensibilisés grâce en particulier au long combat des associations pour la parité, réunies aujourd’hui dans le " Réseau Hommes-Femmes pour la parité ". Mais à défaut de " nature ", le naturel existe encore : chassez-le, il revient au galop. La misogynie demeure, la défense de privilèges et de pré-carrés reprend vite le dessus. Oui, des lois sont nécessaires aujourd’hui pour établir la démocratie sur de nouvelles bases. Et pour que ces lois puissent être constitutionnelles, il faut changer l’article 3.
Peut-être certains sénateurs se sont-ils émus des discours pseudo-universalistes des époux Badinter. Ils feraient bien d’entendre la voix des femmes qui luttent contre les inégalités et refusent cet apartheid politique. Les députés et sénateurs qui s’opposeront à cette petite phrase sur " l’égal accès " dévoileront surtout à la face du monde que la présence des femmes à égalité leur serait insupportable, qu’ils s’accrochent à leurs privilèges et à leur rente " politique " masculine.