Hommage à Francine

12 novembre 2008 par Dominique Voynet

Alain m’a demandé de dire quelques mots pour rendre compte de l’engagement et du parcours militant de Francine chez les Verts, et je m’en sens incapable.

Pas seulement parce que je n’ai pas la mémoire des dates, et que je ne sais pas dire précisément à quel moment Francine est entrée dans nos vies, en 1988 peut-être, en 1989 certainement. J’aurais peut-être trouvé l’info dans le numéro spécial du Monde de la Bible édité pour ses 60 ans, j’ai hésité au moment de fouiller dans les cartons.

Parce qu’au fond, je pense que ça ne serait pas lui rendre pas justice que de faire la liste des AG et du rôle qu’elle y joua, dans des débats qui touchaient aux valeurs de l’écologie politique, et à l’éthique de l’engagement. Tout le monde ici connaît le rôle que joua Francine chez les Verts, infatigable vigie des droits des femmes, militante de la parité, à un moment où dans tous les partis ou presque, les femmes faisaient le café pendant que les hommes cumulaient les mandats. À cet instant, je veux penser à une autre militante féministe, une autre belle femme, Solange Fernex, qui nous a quittés récemment, elle aussi. Je songe aussi à la solidité des arguments qu’elle a mobilisés pour conduire le débat, difficile entre tous, qui agita les Verts au moment de la loi sur les signes religieux, à la ferveur avec laquelle elle a plaidé pour qu’on n’épouse pas hâtivement, comme une manifestation paradoxale de la liberté des femmes à disposer d’elles même, la thèse selon laquelle la prostitution ne serait au fond qu’un métier comme un autre.

Ce ne serait pas rendre justice à Francine de ne parler que de ça.

Parce que c’est un aspect de sa personnalité longtemps occulté, et d’abord par elle-même, parce que nous nous sentons tous un peu coupables d’avoir parfois oublié qu’elle était aussi une belle intellectuelle et une débatteuse tenace, nous avons la tentation de rectifier cette injustice.
Et pourtant…

Quand je pense à Francine, c’est le mot « l’épreuve » qui me vient. Francine ne parlait, n’écrivait que de ce qu’elle avait éprouvé, au-delà des concepts, des connaissances, des analyses. Et c’est parce qu’elle a éprouvé, et prouvé, qu’elle nous touche si fort, quand elle dit la difficulté et le bonheur de mettre au monde un enfant, de vivre un amour, de se confronter aux rôles écrits pour nous depuis trop longtemps, quand elle dit le bonheur et les douleurs de la vie, l’ambivalence du don, le renoncement à la colère mais pas à la révolte.

Ce que je veux retenir de Francine, c’est l’empathie avec laquelle elle regardait le monde, un peu en retrait, pas par timidité, pour observer, pour ne rien perdre. Avec un mélange d’intense lucidité, qui a du aussi et plus souvent qu’à son tour la faire souffrir, et d’immense générosité. Pas de complaisance, pas d’apitoiement, mais toujours le souci de ne pas rompre les liens, de regarder la personne derrière la laideur d’une posture ou la lâcheté d’une prise de position.

Ce que je veux retenir de Francine, c’est sa capacité à se mettre à la hauteur des gens, des enfants, de ceux qui travaillent de leurs mains, de ceux qui n’ont pas les mots.

C’est le soin apporté aux « choses de la vie » : préparer un repas, allumer une bougie, accueillir un ami dans la maison de Villejuif encombrée de livres. Et plus encore quand tout se délite, quand le sol semble se dérober sous les pas.
C’est sa capacité à regarder le monde, les autres à hauteur d’homme, de femme plutôt, jamais en surplomb, jamais humiliante.

C’est son sourire, c’est la vitalité de ses yeux, c’est son humanité, qui nous a rendus plus vivants et plus forts.



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