Pour Francine In memoriam

12 novembre 2008 par Dominique Guibert

« Je me suis élevée dans les ténèbres à hauteur du premier colosse, mue par une force inconnue, et j’ai planté sur lui mon regard. Est alors monté du fond de mes entrailles un chant terrible, tout à la fois hululements et modulations fantastiques. Un cri de guerre, époumonant, qui n’en finissait plus. Rugissement, surgissement venu de très loin, venu du fond des âges. Ce chant d’une violence extrême fusait de moi comme d’un volcan, dévorant toute mon énergie, c’était une suite infinie d’abîmes et de cimes, de vocalises gutturales, qui jaillissaient, se fracassaient puis rejaillissaient. Je n’y étais pour rien, c’était une condensation subite des cris de tous les continents. De tous les assassins, de tous les massacrés. Cette fureur, qui me détruisait moi-même extermina le monstre. Je me taisais maintenant, exténuée de fatigue. »

Vous l’avez compris, ce texte n’est pas de moi. Il est évidemment de Francine ! Un beau texte, un bon texte que je livre en hommage. Je l’ai choisi parce qu’il montre bien que Francine était une productrice de sons, de sens et de sentiments.

A l’heure où nous sommes rassemblés autour d’elle, pour elle, à cause d’elle, je voudrais dire au nom de Villejuif Autrement, cette association locale dont elle fut une membre oh combien ! active, qu’elle va terriblement nous manquer. Car nous vécûmes ensemble pendant quatorze ans pour cette entreprise. Et nous avons su partager ce que Francine avait su y mettre : une dose d’utopie sans laquelle on ne commence pas ; une dose d’obstination sans laquelle on ne continue pas ; une dose d’optimisme sans laquelle on ne tient pas !

Je voudrais que nous retournions à ce texte qu’elle fut capable d’écrire à l’aube de sa maladie :

« Cette première victoire ne suffisait pas. Il me fallut recommencer l’affrontement un très grand nombre de fois, face aux géants alignés. Le chant reprenait son œuvre, sauvage, impitoyable, de plus en plus violent, et finalement vainqueur. Toute l’intensité de ma vie s’y déployait. Toutes mes forces s’y consumaient.

Au terme de combats innombrables, quand je croyais en avoir fini, on vint me requérir. Il y avait encore d’autres piliers à abattre. Mais je n’en pouvais plus. Je n’en peux plus. Ma vie d’un coup s’est consumée.

Il arrive que la voix manque »

Cette voix de fiction est maintenant la sienne. Et je vous signale avec émotion le titre de cette nouvelle, que j’ai extraite du recueil « Cité des solitudes » : « Viens te battre ». Car je suis sûr que Francine en avait voulu l’ambivalence. « Viens te battre » c’est l’objurgation que l’on adresse à l’adversaire. Mais « Viens te battre », c’est aussi l’appel que l’on lance à l’ami. Il nous faudra faire de ce simple titre une ardente obligation pour savoir, comme elle, remplir une vie.

Francine était notre amie. Elle a gardé jusqu’au bout sa lucidité et son attention aux femmes, aux hommes et aux enfants de son entourage. Elle avait décidé de mesurer à cette aune sa lutte personnelle contre la maladie. Son dernier combat, elle l’a encore gagné, une évidence pour cette femme active et présente, attentive aux gens, à tous les gens. Nous nous souviendrons de son humanité, de sa disponibilité, de son intelligence.

Francine était notre amie. C’était la femme des mots, la spécialiste du texte et des expressions. Mais c’était aussi la combattante des causes vives, l’infatigable défenseuse des droits des femmes, la propagandiste d’un avenir meilleur pour les opprimés et les exploités, ici et ailleurs. C’est notre combat politique commun.

Francine, notre amie, c’était aussi un sourire qui sourdait d’empathie, des yeux mordorés d’étincelles. Ceux-là, la maladie n’a pas pu les lui prendre. C’est notre héritage sensible.

Francine était notre amie et nous la retrouverons dans ses livres, grâce son écriture de vraie écrivaine que nous, ses amis, nous connaissions, nous qui puisons dans ses mots l’envie de continuer à faire ce qu’elle nous disait de faire malgré la maladie. C’est notre trésor intellectuel.

L’un de nos grands auteurs, Montaigne, a dit que c’est la plénitude d’une vie qui donne un sens à la mort. Avec Francine, nous avons été servis !



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