Colloque-présentation
La Justice Transitionnelle et l’Impunité : Quelles expériences - quelles leçons à tirer ?

6 décembre 2007

Depuis la deuxième moitié des années 80, bon nombre de pays, sous le joug de dictatures ou des régimes autoritaires, souvent très sanglantes, ont su se libérer et cherchent le chemin vers la démocratie. D’autres, sans connaitre une dictature ouverte, souffrent depuis des décennies de graves violations des droits de l’homme. Dans les deux cas, les victimes directes des violations comme leurs familles cherchent à connaitre toute la vérité, espèrent voir les auteurs des crimes punis, et ils attendent une réparation, tant morale que financière.

Certains secteurs de la société rejettent ces exigences, pourtant nécessaires, afin de « tourner la page ». « Tourner la page » implique en effet un « intéressement » à cesser le combat, à « lâcher prise ». La justice, pour en finir avec une dictature ou une guerre civile, doit sans doute être moins exigeante que celle qui réprime les exactions courantes. C’est ce qu’on appelle « justice transitionnelle ». Celle-ci a néanmoins ses règles, de mieux en mieux codifiées par le droit international.

Malheureusement, dans plusieurs cas, les partisans d’une amnistie-amnésie pure et simple se sont imposés. En Argentine, par exemple : la Loi du Point Final. Mais, comme le montre bien le cas du Chili ou de l’Argentine, même après des décennies de silence, un jour les tortionnaires et les assassins son confrontés au verdict de la société, doivent rendre des comptes à la justice. La Cour Suprême argentine a annulé les deux lois d’amnistie et les Tribunaux Chiliens ont délivré, sur les disparitions forcées, des interprétations conformes au droit international, pour contourner certains des obstacles posés par la loi d’amnistie. L’Espagne elle-même commence à s’interroger sur les crimes des années 1936-1938.

Au Pérou comme au Guatemala ou bien en Afrique du Sud, des rapports excellents ont été établis qui montrent les dimensions des crimes commis. Dans le cas du Pérou, un rapport a établi la grave dimension des crimes et violations de droits de l’homme commises tant par les forces gouvernementales que par les groupes armés d’opposition. Le rapport a proposé des procédures pour les auteurs des violations, et pour réparer leurs crimes. Dans le cas de l’Afrique du Sud, comme en Tchécoslovaquie, la mise en place d’une Instance Vérité et Justice a mené le pays à un considérable processus de démocratisation.

D’un autre côté, en Colombie, la loi Justice et Paix, approuvée en 2005, propose un chemin très différent : elle se penche sur le processus de démobilisation de combattants irréguliers, laissant de côté en quelque sorte les questions de vérité, de poursuite des crimes et de la réparation. Certes, la Cour Constitutionnelle a annulé d’importants aspects de cette Loi. Malheureusement, le gouvernement a contourné, par la voie de décrets, les conseils de la Cour. En Algérie l’amnistie du terrorisme attribué aux islamistes laisse la plupart des victimes sans accès ni à la vérité, ni à la justice, ni à la réparation. Au Sierra Leone, les Nations Unies ont interprété la loi d’amnistie promulguée sous leurs auspices comme excluant les graves crimes internationaux et une Commission de Vérité et une Cour Spéciale ont été mises en place.

Ce tour d’horizon montre qu’il reste à résoudre une série de questions fondamentales, notamment :

1.Comment parvenir à une véritable réconciliation dans un pays où vivent les victimes comme les bourreaux ? Quels sont les défis et limites ? Quel rôle pour la justice ?

2.Comment ces processus doivent ou peuvent renforcer l’état de droit ? Quelles conditions sont requises pour cela ? Quels sont les défis et dangers ?

3.Quelles sont les cadres juridiques pour de tels processus posés par le droit international ? Quels sont les devoirs de l’Etat ?

4.Quelle est la relation entre réconciliation, justice et vérité ? En somme, comment aller au delà de l’amnistie - amnésie ?

La conférence part de la conviction que toute société a besoin de connaitre la vérité, de soumettre les criminels à la justice et de réparer les victimes. Elle propose, à partir de l’exemple de l’Argentine, Chili, Pérou, Guatemala, Sierra Leone, Maghreb et de l’Afrique du Sud, ainsi que des expériences européennes (Tchécoslovaquie, Espagne) de confronter les expériences afin de formuler des propositions concrètes pour toute société confrontée à une situation similaire.



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net (http://lipietz.net/?article2113) (Retour au format normal)