Libération
Pour ou contre la baisse des prix du carburant ?
Interview jumelée avec Michel Charasse

30 mars 2000 par Alain Lipietz

Libération : Les taxes sur le prix de l’essence sont-elles trop élevées en France ?

Alain Lipietz - Non, elles ne le sont pas si l’on veut respecter le traité de Kyoto, signé en 1997, sur les conséquences de l’effet de serre. Or la conférence climatique impose à la France de ramener avant l’an 2008 sa production de gaz carbonique - dont la voiture est la principale cause - à un niveau comparable à celui du début des années 90. Si l’on veut tenir nos engagements, une hausse de 35 centimes au litre est indispensable. Car les prix ont un réel effet dissuasif sur l’automobiliste. On sait que tous les usagers passés de l’essence au gazole augmentent de 20 % leur kilométrage.

L : Une telle position n’est pas très sociale. Ne pénalise-t-elle pas les catégories les plus défavorisées ?

AL : Oui, et c’est un vrai problème. Mais le principe pollueur-payeur doit être corrigé quand le pollueur est financièrement limité. Des compensations sont ainsi imaginables pour les RMistes et les contrats emploi-solidarité par exemple. L’employeur, sur le mode de la carte orange à Paris, pourrait ainsi prendre en charge les frais d’essence liés aux déplacements professionnels des plus précaires, pollueurs malgré eux. L’instauration de bons d’essence est aussi possible. Une autre solution, encore plus juste socialement, serait d’augmenter les minima sociaux. Reste une évidence : les plus défavorisés sont les 30 % qui n’ont pas de voiture et souffrent pourtant de sa nocivité.

L : Une hausse de l’essence favoriserait-elle la prise de conscience liée à la pollution auto ?

AL : Oui, à condition de faire preuve de pédagogie. Le gouvernement devrait lancer une campagne nationale sur les conséquences de l’effet de serre et du gaz carbonique (asthme, cancer, etc.). Il faut aussi accompagner les prix dissuasifs à la pompe de mesures alternatives : transports en commun, vélo, taxi collectif ?

L : De quelle marge dispose le gouvernement ?

AL : C’est une question de courage politique. Or, la gauche plurielle, à l’exception de Verts, n’a rien d’écologiste. Et puis Bercy n’a jamais brillé par ses talents de pédagogie. Quant au lobby auto, il s’adapte très vite. Si le prix augmente, les constructeurs vont illico relancer la course à l’économie. Il a suffi qu’on brandisse la menace d’une péréquation du prix gazole-esssence pour que Peugeot sorte dans les quinze jours un diesel moins polluant.

Recueilli par Christian Losson



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