Le Monde
Alain Lipietz analyse l’échec de la libération d’Ingrid Betancourt

2 août 2003 par Alain Lipietz

Alain Lipietz, député Vert au Parlement européen, a effectué plusieurs voyages en Amérique du Sud en faveur de la présidente des Verts colombiens. Il pense que "le démenti des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) à propos de la libération d’Ingrid ne saurait être pris pour le fin mot de l’histoire". Avant comme après l’inclusion des FARC dans la liste d’organisations terroristes de l’Union européenne, à la demande pressante de la Colombie, la diplomatie secrète suit son cours.

Ainsi, malgré ses dénégations, c’est le gouvernement de Bogota qui a prévenu la famille Betancourt, après s’être assuré de la crédibilité du message des FARC, parvenu par l’entremise de l’Eglise catholique, affirme Alain Lipietz. A ce propos, il rappelle un précédent fort révélateur de l’ambivalence des autorités colombiennes. Dans le département d’Antioquia, dont le président Alvaro Uribe a été le gouverneur, un hélicoptère a assuré le ravitaillement sanitaire et même l’évacuation en cas d’urgence médicale, "aussi bien des otages de la guérilla que des ravisseurs".

EXFILTRATION DE REYES

L’exfiltration de Raul Reyes, commandant des FARC souffrant d’un cancer, à l’occasion de la libération d’Ingrid Betancourt, évoquée par un journal brésilien, semble donc une hypothèse "plausible" à M. Lipietz. A Brasilia, cette éventualité est également considérée "crédible". En revanche, l’élu Vert ne croit guère à une manipulation américaine du reporter brésilien qui a révélé l’affaire pour déstabiliser le ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, dans la foulée de la crise irakienne. "Les Français sont assez arrogants pour suffire à faire capoter l’opération par leur gaffe diplomatique. Je les ai déjà vus en Amazonie comme s’ils étaient chez eux."

"Les FARC sont divisées, explique le député européen, entre une aile dure, militaire, incarnée par Mono Jojoy, et les partisans d’une négociation, comme Reyes."Après la rupture du dialogue de paix et la perte de la zone démilitarisée du Caguan, les premiers ont pris le dessus. La recrudescence des combats n’ayant pas eu les résultats escomptés, la lettre adressée par les FARC à l’ONU marquerait le retour de la diplomatie.

"Les FARC sont très isolées", souligne Alain Lipietz. Les démarches au bénéfice des otages faites "par leurs anciens camarades du Forum de Sao Paulo", qui réunissait la gauche latino-américaine, se sont vu opposer des fins de non-recevoir, "si ce n’est des insultes". Le militant Vert cite le Parti des travailleurs du président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, le mouvement des Indiens équatoriens Pachakutik, également au pouvoir avec Lucio Gutierrez, ainsi que le Mouvement bolivarien du Vénézuélien Hugo Chavez.

Tous les intermédiaires sont "très découragés" par la "ligne suicidaire et autiste des FARC", confie M. Lipietz. En France, "Jacques Chirac a misé sur le Venezuela, en ligne directe avec Chavez", mais la droite vénézuélienne comme Washington guettent, "prêts à dénoncer les complicités ou complaisances avec la guérilla".

"Enlever des négociateurs ou des diplomates viole les règles élémentaires de la négociation", insiste M. Lipietz. La position des Verts européens est donc de ne pas jouer les médiateurs à l’égard des FARC tant qu’elles ne relâchent pas Ingrid Betancourt.

La libération envisagée, "presque sans contrepartie", en juillet a peut-être un rapport avec une inflexion de la guérilla, spécule l’eurodéputé, inquiet néanmoins de l’autre explication possible : une dégradation de la santé de l’ancienne candidate Verte à la présidence de la Colombie.

"L’échec de l’opération française en Amazonie ne simplifie pas les choses", regrette Alain Lipietz.

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